Suivre la devise chinoise après la dévaluation

< Retour aux articles

Publié le 06 octobre à 10:00, dansActualité financière

Partager

Une entrevue avec Alexandre Lemieux, CFA, directeur général, Change international et produits dérivés à la Banque Nationale.

Qu’est-ce qui a changé dans la manière dont les autorités chinoises fixent la valeur du yuan ?

Alexandre Lemieux : Chaque jour, à 9h15 heure locale, la banque centrale chinoise établit le taux de change du yuan (CNY) par rapport au dollar américain. Elle donne le point médian, autour duquel la devise peut ensuite fluctuer à l’intérieur d’une bande prédéterminée, qui va jusqu’à 2 % à la baisse ou 2 % à la hausse. 

Ce qui a changé en août dernier, c’est que les autorités ne fixent désormais plus le point médian de manière arbitraire, mais en fonction du taux de fermeture de la veille ainsi que de l’offre et de la demande réelle pour la devise. C’est lors de ce changement qu’a eu lieu, depuis le 10 août dernier, une dévaluation progressive d’environ 4% du yuan. Les autorités ont expliqué que cela faisait partie de la volonté de se baser davantage sur un prix de marché. 

Concernant le yuan, il faut distinguer la devise transigée à l’intérieur du pays (CNY), à laquelle seules certaines institutions locales ont accès, et celle transigée à l’international (CNH).  Le CNH suit très étroitement le CNY. 

Cette dévaluation qui a surpris les marchés était-elle prévisible ?

A.L.: C’est certainement très complexe d’anticiper le moment exact. Il n’est jamais facile de prévoir les politiques des différents pays, et en particulier celles de la Chine. Cela dit, la dévaluation en tant que telle n’était pas surprenante, pour plusieurs raisons.  

Premièrement, on observe un ralentissement de l’économie chinoise depuis plusieurs années. Depuis le début de 2015, les gens étaient particulièrement nerveux en raison de la volatilité sur le marché boursier chinois.

L’autre facteur important est la force du dollar américain, qui depuis un an s’est fortement apprécié contre la plupart des devises. Rappelons que le yuan est fixé par rapport au dollar américain. Si votre devise est collée au dollar américain, forcément elle monte aussi lorsque le dollar s’apprécie. Sur une période de 12 mois, entre août 2014 et août 2015, le dollar s’est apprécié de 18 % comparativement à un panier global de devises (l’indice DXY). Pendant cette période, le yuan est resté à environ 6,2 CNY par US$. En revanche, le yuan s’est apprécié de 20 % face au yen japonais par exemple. 

Une telle situation n’était pas viable ?

A.L.: Cela deviendra de plus en plus difficile pour les autorités chinoises de soutenir leur devise suite au changement de cet été. En août, les réserves chinoises de dollars US ont baissé de 100 milliards de dollars ; c’était un record. Les autorités devaient vendre des dollars US et acheter des yuans pour maintenir le taux de change au niveau fixé. Même si les réserves chinoises de devises étrangères sont énormes, ce rythme ne peut pas être gardé pendant des années. 

Quelles sont les tendances de fond qui vont influencer la valeur du yuan dans la prochaine année ?

A.L.: Le premier facteur selon nous est relié aux changements qui s’opèrent actuellement au sein de l’économie chinoise. Le pays se donne comme objectif de passer d’un modèle de croissance basé sur les exportations et l’investissement vers un modèle axé davantage sur la consommation domestique, même si les exportations resteront importantes. 

L’enjeu est de voir comment cette transition va s’opérer dans les faits. Si l’on réussit à stabiliser l’économie et même à créer une relance de la consommation intérieure, la devise pourrait rester stable au niveau où elle est actuellement.  Si par ailleurs, cette transformation ne progresse  pas, on peut probablement s’attendre à une autre dévaluation. 

Le deuxième facteur déterminant pour la devise chinoise sera le comportement de la Réserve fédérale américaine (Fed) au cours de la prochaine année. Si la Fed demeure relativement accommodante, comme plusieurs signes l’indiquent, il y aura moins de pressions à la hausse sur le dollar américain. Mais si le resserrement était légèrement plus agressif qu’anticipé, cela pourrait entraîner une autre petite dévaluation du yuan par rapport au dollar, car cela deviendrait plus couteux de supporter la devise. Les exportations chinoises aussi seraient affectées.  

La volonté de réformer le système de la devise est-elle réelle ?

A.L.: Cela semble être une vraie volonté à long terme. La Chine souhaite que sa monnaie fasse partie du panier de réserves du FMI, les Special Drawring Rights (SDR). C’est un panier qui comprend actuellement le dollar US, l’euro, le yen et la livre sterling. La révision de la composition de ce panier se fait tous les cinq ans et elle était prévue en septembre. Le FMI a annoncé qu’il repoussait la décision à septembre 2016. Une inclusion du CNY augmenterait la demande internationale pour la devise chinoise.

(entrevue réalisée le 18 septembre 2015)